Des protestants séduits par le catholicisme «tradi»

© Notre-Dame de la foi
i
© Notre-Dame de la foi

Des protestants séduits par le catholicisme «tradi»

29 septembre 2025
Certains jeunes protestants romands ont rejoint le cortège du pèlerinage Notre-Dame de la Foi, ce week-end. Ces derniers se disent happés par la beauté de la liturgie catholique «tradi» et la profondeur spirituelle qu’ils ne retrouvent plus dans leurs Eglises d’origine.

Ce week-end, de nombreux fidèles ont marché de Fribourg à la chapelle de Notre-Dame des Marches, à Broc (42 km), pour la deuxième édition du pèlerinage organisé par l’association Notre-Dame de la Foi. Le profil de certains d’entre eux surprend: d’anciens protestants – réformés ou évangéliques – qui ont choisi de se convertir au catholicisme traditionnel. Attirés par la messe en latin et la beauté du rite tridentin, ils racontent un cheminement spirituel pour le moins inattendu.

Ces pèlerins ont ainsi rejoint ainsi des catholiques attachés à la tradition, qui revendiquent un attachement à la liturgie classique et aux enseignements anciens de l’Eglise. «Bien que protestante, j’ai grandi entre deux traditions. Mon père était protestant et ma mère catholique», raconte sous couvert d’anonymat une jeune architecte étrangère, âgée de 28 ans et installée à Fribourg. «Dans les cultes protestants, je trouvais les sermons trop plats, trop ancrés dans le quotidien. La messe, au contraire, me semblait plus profonde, plus symbolique.»

Un choix «existentiel»

Pour elle, qui est en couple avec un ancien musulman converti au christianisme, le choix du catholicisme traditionnel n’est toutefois pas que formel ou esthétique: il est existentiel. «L’Eglise réformée m’apparaissait trop progressiste, trop flottante. Je cherchais quelque chose de plus exigeant pour ma foi. Ces rites, nouveaux pour moi, sont devenus des points de repère.»

Roman, 37 ans, issu d’une famille sans pratique religieuse, a découvert la foi dans une communauté évangélique «par hasard», avant de rejoindre l’Eglise catholique en 2024. «Chez les évangéliques que j’ai fréquentés, on prie Dieu, on aime Jésus, on chante le dimanche, mais ça s’arrête là. Il manquait une vraie catéchèse et une profondeur théologique», explique-t-il. En explorant l’histoire de l’Eglise et sa doctrine, il en est rapidement arrivé à la conclusion qu’il devait se convertir au catholicisme, «par cohérence».

Aujourd’hui, cet habitant de Chavornay (VD) fréquente la Fraternité Saint-Pierre à Lausanne. Avant de se tourner vers le catholicisme traditionnel, il avait toutefois tenté une expérience avec les catholiques diocésains, soit conventionnels: «J’ai été frappé de constater que la messe y ressemblait presque à un culte évangélique. Je cherchais quelque chose de plus vrai, plus profond. Dans la messe traditionnelle, on ne caresse pas les gens dans le sens du poil. On y parle de confession, de péché, de transcendance.»

Respect du mystère

Un parcours similaire à celui de Léonard, 33 ans, ingénieur en environnement nyonnais baptisé et confirmé dans l’Eglise réformée du canton de Vaud (EERV), aujourd’hui séduit par le mouvement tradi. «Dans les cultes, il me manquait cette notion du sacré. On jouait de la guitare électrique, on parlait de politique, mais peu de théologie. C’était aussi beaucoup axé sur la jeunesse… A ma première messe traditionnelle, j’ai eu l’impression qu’on respectait enfin le mystère chrétien.»

Fils et petit-fils de protestants convaincus, il a dû affronter les réticences de sa famille: «Mon grand-père, musicologue et théologien, m’a supplié de rester fidèle à la Réforme. Mais je ne retrouvais plus l’esprit des origines dans l’Eglise actuelle. Pour moi, l’Eglise réformée a perdu ce qui faisait sa force: la profondeur spirituelle, le retour au texte et la foi pure voulus par Calvin. C’est paradoxal, mais c’est ce que je retrouve aujourd’hui dans le catholicisme traditionnel.»

Ces témoignages convergent: ce qui attire ces protestants vers le catholicisme tradi, c’est la beauté des liturgies, le sentiment d’authenticité, l’exigence spirituelle et morale, mais aussi une certaine réaction à la modernité. «Le monde est devenu trop libre, trop permissif. La tradition encadre, elle donne un cap», résume la jeune architecte fribourgeoise. Cette quête s’accompagne parfois d’une critique des divisions internes du protestantisme. «A Yverdon, il y a quinze Eglises évangéliques qui ne s’entendent pas théologiquement, relève Roman. Chacune lit la Bible à sa manière. Pour moi, ça n’avait pas de sens.»

En rejoignant le catholicisme, et plus encore sa branche tradit ionnel le, ces f idèles pensent trouver unité, enracinement et cohérence. Même si cela signifie accepter des différences théologiques majeures, comme la présence charnelle du Christ dans l’hostie. «Au début, ce n’était pas évident, reconnaît Léonard. Mais aujourd’hui, j’y crois. Et cela fait partie du cœur de ma foi.»

Pour expliquer ces glissements confessionnels, la sociologue des religions à l’Université de Fribourg, Isabel le Jonveaux, insiste sur la dimension esthétique: «Il y a d’abord un frisson esthétique. Les jeunes se disent saisis par la beauté d’une liturgie soignée. Avec le faste de la liturgie, ils ont l’impression de retrouver ce qu’on avait à cer taines époques: ils donnent à Dieu ce qu’il y a de plus beau.»

Quête spirituelle

Elle observe également que cette quête répond à un besoin plus large: «Beaucoup de jeunes expriment le désir de retrouver de la transcendance, de la prière, et surtout un certain cadre, alors que certaines Eglises of frent, selon eux, principalement une dimension sociale. A leurs yeux, l’expérience religieuse doit être avant tout spirituelle, même si elle repose parfois davantage sur un ressenti que sur la réalité de ces milieux traditionnels.» Selon cette universitaire, auteure d’une enquête sur la religiosité des jeunes Suisses âgés de 16 à 30 ans, «cette recherche du traditionnel ref lète moins une théologie qu’un besoin d’ancrage».

Ces trajectoires restent minoritaires, précise-t-elle, mais elles disent quelque chose des recompositions religieuses actuelles. Alors que les Eglises réformées suisses peinent à retenir les jeunes générations, certains jeunes se tournent vers une offre spirituelle à contrecourant, plus rigoureuse.

Le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg a quant à lui donné son aval à l’association pour ce deuxième pèlerinage. «Le succès de la première édition, avec 120 participants, a montré la soif de fraternité, de silence et de prière, souligne l’organisation. Cette année, la participation a plus que doublé, et avoisine les 260 inscrits.»